lundi 17 mars 1997

Quand Balladur songe à créer son parti

Ses amis du RPR et de l'UDF le pressent de bâtir sa propre formation politique.


Non, il n'a pas changé. Edouard Balladur porte encore ses complets anglais à trois boutons ; et lit toujours ses discours de cette voix traînante, qui rassure ou ennuie. Il réunissait ce samedi un colloque sur la justice. Il débattra dimanche prochain avec Laurent Fabius à « 7 sur 7 », sur TF 1. Il a récemment édité, à l'en-tête de son Association pour la réforme, une instructive étude comparée sur le chômage dans les pays de l'OCDE, d'où il ressort que les pays où l'on travaille le moins, et où la part des prélèvements obligatoires est la plus lourde, connaissent le plus fort taux de chômage. Il publiera, en mai prochain, un livre intitulé Caractère de la France, un essai historique sur « l'exception française ». Il réunit, tous les quinze jours au cercle Interallié, à Paris, une grosse cinquantaine de députés RPR. Il rencontre, il discute, il réfléchit. Edouard Balladur existe. Mais pour quoi faire ?

Longtemps, il a cru qu'il se coucherait (de nouveau) de bonne heure à Matignon. Il regardait Juppé comme un usurpateur incapable, et Séguin, comme un rival en peau de lapin. C'était le temps où Pasqua, Léotard, Madelin, s'efforçaient d'expulser Alain Juppé de son domicile de la rue de Varenne. Le temps où les plus fidèles amis d'Edouard prenaient langue avec son plus farouche ennemi d'hier, Philippe Séguin. Où l'un des plus ardents supporters de l'ancien premier ministre, le député RPR Patrick Devedjian, jouait sur les ondes au conseiller conjugal, appelant à la reconstitution du couple dissous, Jacques et Edouard, « papa et maman », afin que s'endorment rassérénés les enfants les électeurs de la majorité. Edouard Balladur laissait faire et dire. S'il pouvait arriver à ses fins, sans se salir les mains...

Mais son espérance a été déçue. Chirac n'a pas cédé. Et Juppé est resté. Balladur a même cru, en décembre dernier, qu'il perdrait ses derniers lieutenants, Sarkozy et Léotard, prêts à l'abandonner pour un ministériel plat de lentilles. Mais pour une dernière ? fois, l'ancienne complicité avec Chirac a fonctionné : comme Edouard l'avait prévu, le président a refusé d'aller chercher de l'aide alors qu'il était en position de faiblesse. Exit le remaniement. Mais, quelques mois et quelques sondages moins catastrophiques plus tard, le pouvoir se convainc qu'il n'a plus besoin d'aide. Exit la Balladurie.

Rêve partisan

L'Elysée est persuadé que la « bataille de la majorité » est terminée. Et gagnée. Que le problème balladurien n'existe plus. Qu'en monarchie présidentielle, on est pour ou contre le monarque. Qu'Edouard, Nicolas, François et les autres n'ont pas assez soutenu Juppé quand le temps était à l'orage ; ou ne l'ont pas achevé sous la mitraille. Entre-deux fatal.

Edouard Balladur aimerait leur prouver avec éclat qu'il n'en est rien. Il ne veut surtout pas avoir à refuser une tête de liste aux élections régionales à Paris, qu'on lui offrirait, en pouffant : la droite, de toutes les manières, a déjà perdu la région Ile-de-France... Mais pour échapper à cette mortelle tenaille, il faut oser frapper à la tête : Giscard avait souffleté le général de Gaulle d'un distingué « oui, mais » ; et Jacques Chirac avait jeté le RPR comme une bombe aux pieds du président Giscard. Certes, les causes de sécession ne manquent pas à l'égard d'un pouvoir chiraquien qui se veut rassembleur et attrape-tout, social-démocrate de droite, moderne et « réac », politiquement correct et proche du peuple : les « valeurs » pour les uns, la « République » et la « souveraineté nationale » pour d'autres, le « libéralisme » pour un troisième.

Mais le temps presse pour Edouard Balladur. Ou il devient un clone de Raymond Barre donneur de leçons sans la jouissance de la provocation, ni la mairie de Lyon ou il se structure. Ou il reste libre, ou il fonde un parti libéral. Ou il devient de plus en plus seul, ou il accepte d'être trop entouré. Autour de lui, on s'affaire, on s'agite, on s'ingénie. On l'envahit. Les balladuriens reprennent ainsi leur rêve partisan, abandonné après l'élection présidentielle. Nicolas Sarkozy y voit le meilleur moyen de revenir dans la majorité sans la corde au cou. François Léotard a compris que sa présidence de l'UDF était largement factice, qu'elle permettait avant tout à François Bayrou, et son parti centriste Force Démocrate, de grossir et prospérer. Et de l'avaler le jour venu. Jeter le PR et l'UDF dans les flammes d'un grand parti balladurien, pour mieux renaître... Les députés RPR fidèles à Edouard, seraient, eux, libérés de la tutelle financière que fait peser la Rue de Lille, sur les prochains candidats investis aux prochaines élections législatives.

Dans un premier temps, ils déposeront une « contribution balladurienne » au programme RPR. Histoire de se montrer et de se compter. Les balladuriens continuent en effet à se dire qu'Alain Juppé, abandonnant Matignon, aura besoin d'eux pour gouverner le RPR, contre les proches de Philippe Séguin et de Charles Pasqua. Mais certains d'entre eux commencent, inquiets, à prendre au sérieux la boutade de Jacques Chirac, promettant naguère à Juppé qu'il resterait à Matignon tout un septennat...

Sans faire de bruit

Alors, Edouard Balladur osera-t-il aller plus loin ? Rompre. Et fonder. Mais Balladur n'a jamais eu de goût pour les assauts de hussard ; et préfère les manoeuvres lentes et silencieuses, celles d'« étrangleur ottoman », comme confiait méchamment François Mitterrand. C'est un diesel, pas un nerveux moteur italien. Qui hésite, jauge. Se demande à quoi bon ouvrir sa propre « boutique », pour rester dans l'histoire politique comme le glorieux fondateur d'un parti républicain à la française libéral en économie et à droite sur les « valeurs » ou servir les futurs appétits présidentiels des Léotard et Sarkozy. L'âge sépare peu à peu ceux qui s'aiment, tout doucement, sans faire de bruit...

Encadré(s) : Le socle du référendum

Edouard Balladur a souhaité samedi que la future réforme de la justice fasse l'objet d'un référendum. Cette solution « aurait le caractère de solennité indispensable », a déclaré l'ancien premier ministre, en conclusion d'un colloque sur la justice auquel avait pris part le garde des Sceaux, Jacques Toubon. « Si l'on voulait reconstituer un socle stable, a dit M. Balladur, il appartiendrait au peuple d'être directement consulté. C'est au président de la République d'en décider. »

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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