Le second tour des élections législatives anticipées.
Ce fut une journée de chien. Les nuages, le vent, et puis, pour finir, la pluie. Les rues d'Epinal étaient désertes. Comme tous les dimanches. Philippe Séguin n'en pouvait plus. Depuis ce matin, 8 heures, il avait dû supporter les journalistes pendus à ses basques, les caméras qui filment son plus petit pas, son moindre rictus, les micros qui se tendent à son propos le plus anodin, les photographes qui se précipitent, un genou à terre, dès qu'il serre une main, embrasse la joue d'un enfant, signe un autographe à une mamie. Il arborait son sourire professionnel, celui des 20 heures, le sourire qui a remplacé ses mines bougonnes de jadis.
Une seule fois, il a craqué. Excédé, il a retrouvé ses bonnes vieilles colères d'autrefois : « Laissez-moi tranquille », a-t-il lâché aux photographes. Et à un journaliste qui l'interrogeait ingénument sur sa confiance dans la victoire finale, il a rétorqué : « Quel est l'intérêt de cette question ? Si je dis oui, j'aurais l'air d'un imbécile. Les regrets, je les laisse aux autres. » Après cette analyse politique éclair, il a remis un sourire à sa face. Et il a voté à l'école Victor-Hugo.
Sans illusions. Tout l'après-midi, de l'aéroclub de Dogneville au stade de Nomexy où il a vu son équipe d'Epinal arracher un méritoire match nul contre Metz , Philippe Séguin a traîné sa démarche nonchalante et son sourire de commande. Jusqu'aux estimations de 20 heures. Il était élu. Confortablement. Avec 56 % des voix, il se félicitait « d'avoir attendu le deuxième tour », puisqu'il battait son score de 1993, obtenu il est vrai dès le premier tour. Pour la télévision locale d'Image plus, à qui il réservait la primeur de ses réactions, il demeura allusif sur ses intentions. Seulement cet avertissement : « Il n'y aura plus d'échéance avant l'élection présidentielle dans cinq ans. Je vais faire de la politique. » A sa sortie du studio, il réconfortait Jean-Pierre Thomas, le député UDF voisin, battu. Puis il appelait Lionel Jospin pour le féliciter. Un geste « british » de chef de l'opposition au prochain chef de gouvernement ?
Avec qui ?
Devant les télévisions nationales, il se faisait un peu plus précis. D'abord, le diagnostic : « C'est tout notre système politique qui est en crise. » Puis, le traitement, l'appel à « tous ceux qui partagent la même conception de la France, et de la France dans l'Europe, pour préparer d'autres lendemains. Je suis déterminé, définitivement déterminé, à en créer les conditions politiques. »
On se souvient qu'en 1978, un soir de défaite de son camp, Michel Rocard avait ainsi sonné la charge. Contre les échecs à répétition de la gauche. Contre François Mitterrand. Pour sa propre candidature à l'élection présidentielle qui s'annonçait en 1981. La sortie de Philippe Séguin fut moins éclatante, moins provocatrice.
D'abord, parce que le principal destinataire de sa missive réside à l'Elysée. Et puis, surtout, le maire d'Epinal n'a pas encore choisi son angle d'attaque : veut-il prendre le RPR ? Le peut-il ? Le président de la République est-il prêt à lui donner un mouvement dont il a déjà confié les clefs, il y a deux ans, à Alain Juppé ? Peut-il prendre d'assaut un mouvement extrêmement bien verrouillé par « l'appareil » fidèle à l'ex-premier ministre ? Est-il prêt à affronter le président de la République, si celui-ci ne lui donne pas satisfaction ? Et, sinon, est-il en mesure de créer un nouveau parti, à côté du RPR ? Un parti populaire, républicain patriote, qui reviendrait aux sources du gaullisme ? Avec qui ? Charles Pasqua ? Les balladuriens, et au premier chef, Nicolas Sarkozy, qui déclarait, hier, d'une voix blanche, que la majorité avait perdu parce que « la droite n'avait pas été la droite » ? Ou retrouvera-t-il Alain Madelin qui lui aussi appelait à la refondation de la droite ? Mais, peut-on aujourd'hui, créer de toutes pièces un nouveau parti alors que l'argent public, nerf de la guerre, est distribué aux partis déjà existants, ceux qui ont eu des voix aux dernières élections législatives ?
Faute d'avoir répondu à toutes ces questions, Philippe Séguin est demeuré évasif. Il a seulement cherché à montrer à ceux qui en doutaient que, cette fois, son bras ne tremblerait pas.
Et puis il s'en est allé au Clos des Ecureuils retrouver les militants RPR de la ville, assailli par une pluie battante, et une horde de caméras insatiables...
Eric ZEMMOUR
© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.
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