lundi 10 février 1997

La revanche de Bruno Mégret

La victoire du Front national est officiellement celle de Catherine Mégret. C'est elle qui sera légalement maire. Mais c'est lui qui tient sa revanche.
C'est un mouvement imperceptible de retrait. Un mélange de crainte et de protection. Un ancien réflexe de cour de récréation sans doute, aiguisé par la foire d'empoigne politique. Bruno Mégret est un homme prudent. Réservé, introverti, il ne se livre guère. Parfois, il laisse échapper un sourire d'enfant moqueur, un rire même qu'il contient plus ou moins. Dans le monde de l'extrême droite où l'on aime que le verbe claque au vent, fier et dru, que le sentiment s'épande sans compter, cet homme retenu détonne. C'est son côté grand-bourgeois chez les déclassés forcés, fils de conseiller d'État chez les paras et parias, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, diplômé de l'université de Berkeley, Californie, chez les héritiers d'une famille politique qui fit jadis religion de « se méfier de l'intelligence ». Et dont l'intelligence se méfie.

« Il nous manquera les hommes », maugrée-t-il avec lucidité lorsqu'il échafaude ses projets grandioses de conquête. De Vitrolles comme de la France. Car Mégret a de l'ambition et ne le cache pas. Pour lui et pour son parti. Pour lui, à la tête de son parti. Il aime à dire qu'il « n'est pas le Rocard de Le Pen », qu'il ne commettra pas l'erreur de lui disputer la prééminence. Mégret n'a pas cinquante ans. Il peut attendre. Mais il ne supporte pas qu'on lui oppose qui que ce soit d'autre. Il s'agace qu'on le confine dans un rôle d'organisateur alors qu'il se veut aussi stratège, penseur, orateur. Il s'irrite que certains prétendent qu'il aurait quitté le RPR après 1981 parce que le parti gaulliste le traitait comme un second couteau. « Je n'ai rien à reprocher au RPR, ils m'ont toujours bien traité. »

Epris de rationalité

Mais il accepte la rivalité, la compétition ; il ne communie pas, lui, dans la mystique du parti unanimiste, dont se méfie naturellement tout son être épris de rationalité. Simplement, en toute objectivité scientifique, au-delà de tout clivage un rien simpliste entre « païens » et « chrétiens », il se considère comme le meilleur pour succéder à Le Pen. Le seul.

Bien sûr, il sait qu'entre Gollnisch et Le Pen, il y a une proximité affective, dans la manière de boire et de chanter de vieux refrains militaires. Bien sûr, il n'a toujours pas digéré l'élection législative de 1993, qu'il perdit d'un souffle face au socialiste Henri d'Attilio.

Pour Mégret, cette élection de Vitrolles est une formidable revanche. Sur ceux qui, au Front, ont toujours prétendu qu'il était inéligible, qu'il faisait peur, qu'il était trop froid, comme un de ces « technos », qu'il fut quelques années avant la défaite de Giscard en 1981, au cabinet du ministre de l'Equipement, Robert Galley. Sur le Conseil d'État, aussi, qui le déclara inéligible en raison de ses dépenses de campagne, mais selon des méthodes de calcul qui laissèrent songeur plus d'un observateur et pas seulement les amis de Mégret. Sur cette ville de Vitrolles qui l'accueillit froidement en 1988, quand elle faisait un triomphe à son vieux rival défunt, Jean-Pierre Stirbois. Sur ces gens de gauche qui, méprisants, sûrs de leur aura et de leurs méthodes clientélistes, ne virent pas que Mégret et ses hommes, redoutablement organisés, quadrillaient un « terrain » qu'ils avaient abandonné.

A l'instar d'un Chirac qui promettait de faire pour la France ce qu'il avait fait pour Paris, Mégret se propose de faire de Vitrolles sa vitrine nationale. Pour la conquête et pour la gestion. Comme à Vitrolles, il voit une France naguère prospère en voie de prolétarisation. Comme à Vitrolles, il juge que ses adversaires politiques sont soit corrompus, soit mous et sans caractère.

Séduire la droite

Comme à Vitrolles, il rêve de dépecer une majorité qui a abandonné ses convictions droitières, pour la forcer ensuite, divisée, affolée, à le rejoindre ou à mourir. C'est la droite qu'il veut séduire, pour gagner. Alors, même s'il a compris l'utilité du « social », et des organisations caritatives comme Fraternité française, il se moque avec mépris du slogan « Ni droite, ni gauche », lancé l'été dernier par le gendre de Le Pen, Samuel Maréchal. Cette droite, il la connaît, il en vient. Il sait les moyens rationnels pour la séduire. Comme un Jean-Luc Delarue, croqué par les « Guignols de l'info » en obsédé de la « crédibilité », Mégret s'évertue donc à « banaliser » le message du Front. Et à renforcer ses « points forts », immigration et insécurité, par un « troisième pilier », économique et social.

Parfois, dans un moment d'exaltation, il se met à rêver qu'il est sur le point de toucher le but : « La gauche a échoué sur son point fort, le social. La droite est en train d'échouer sur le sien, l'économie. Il ne reste que nous. » Et puis l'enthousiasme retombe un peu. Il constate que ce « modèle italien », qui l'a, un temps, inspiré, n'était pas une panacée, que l'extrême droite italienne a vendu jusqu'à son âme pour un plat de lentilles, que les appareils RPR et UDF tiennent mieux le choc que la démocratie-chrétienne italienne.

Peut-être, au fond de lui, se demande-t-il alors à quoi bon ? Peut-être se met-il à regretter cette « marginalisation » qu'il s'est imposée, lui, le fils de bourgeois. Mais il n'en laissera rien paraître. « Il n'y a pas de grand destin sans grande rupture », se dit-il dans les moments de doute. Mégret croit dans les vertus de la force. Le pouvoir, pense-t-il, lui redonnera la « respectabilité » perdue. Il songe vaguement à la vieille leçon de Pascal : « Parce qu'on n'a pu faire que le juste soit fort, on a fait que le fort soit juste. » Mais il n'est pas un littéraire, juste un scientifique. Qui veut croire que « l'enchaînement logique » des choses finira par lui donner raison. Un jour.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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