jeudi 3 juillet 1997

Droite et Front national : dernières échappatoires avant la grande explication

La reconstruction dans tous ses états


Il y a ceux qui ne veulent rien dire publiquement. Et ceux qui préfèrent se taire. La question du Front national comme on disait la « question sociale » au XIXe siècle demeure, pour la droite, un tabou. La défaite aux élections législatives, si elle a suscité des rancoeurs et troublé les esprits, n'a pas vraiment délié les langues. Ceux qui parlent haut et fort sont ceux qui rejettent tout accord. Ceux-là pourraient dire, comme jadis Edgar Faure : « Il faut s'habituer en politique à vivre avec des problèmes insolubles. » Les autres, moins sûrs d'eux, moins péremptoires, avouent qu'ils n'ont pas de solution, qu'ils veulent un « débat », comme le proposent Charles Pasqua ou Jean-Louis Debré. Un débat pour tuer les tabous. Un débat pour tout déballer.

Les premiers s'avancent, qui veulent faire partager leur expérience. « Moi, quand je suis arrivé dans ma circonscription, le FN était à 44 % au premier tour », se souvient le député RPR des Bouches-du-Rhône Renaud Muselier, en s'amusant de la panique de collègues du Nord affolés par un FN à 12 % ! « A Marseille, depuis quinze ans, la droite a tout essayé, accords réciproques et affrontements. Les gars du FN veulent notre peau. Ils nous le disent. Moi, quand on veut me tuer, je ne tends pas la main. »

Montesquieu et l'Empire romain

Tout est donc affaire de main, que l'on tend ou pas. A qui ? « A Le Pen, c'est impossible », note l'ancien ministre UDF du Budget Alain Lamassoure. Là-dessus, tous sont d'accord. Trop de « détails », de calembours, d'« inégalités des races », disent-ils à l'unisson. Alors, à Bruno Mégret ? Le délégué général du FN ne suscite pas la détestation générale. Beaucoup sont prêts à « parler avec lui ». Certains attendent beaucoup de lui. « Il faudrait qu'il vire Le Pen, qu'il quitte le FN, qu'il crée quelque chose d'autre, au nom du réalisme et de l'alliance avec la droite », lui conseille un RPR. « Qu'est-ce qui nous sépare vraiment du FN ? s'interroge à haute voix un responsable de l'UDF. Rien sinon le racisme et la xénophobie. Il faudrait que Mégret fasse vite. Qu'il abjure le racisme et la xénophobie comme Fini a abjuré le fascisme en Italie. »

Même ceux qui ne veulent pas entendre parler du moindre commencement de discussion avec l'extrême droite soutiennent, à leur façon, Bruno Mégret. « Je suis persuadé que le jour où Mégret remplacera Le Pen, le FN se dégonflera, explique doctement Patrick Devedjian. Comme disait Montesquieu de l'Empire romain, ce qui a fait le succès du FN causera aussi sa perte. » Mais le député RPR d'Antony tient également à tordre le cou à un autre argument régulièrement avancé en faveur de l'alliance avec le FN : « Il est faux de dire que nous devons nous allier au FN pour réduire son influence, comme Mitterrand l'a fait avec les communistes. En Espagne, Felipe Gonzalez ne s'est pas associé aux communistes espagnols. Et pourtant, ceux-ci ont également décliné. Ce n'est pas Mitterrand qui a tué le PCF. C'est la chute du Mur de Berlin. »

Exit Mégret. Comme s'il n'était qu'une porte de sortie commode, parce que irréaliste à court terme, pour tous ceux qui veulent mettre le bout du pied dans le Rubicon mais trouvent l'eau trop froide. Bien sûr, son offre de « discipline nationale » en tente plus d'un, surtout parmi les battus des triangulaires. « Il faut qu'à l'avenir on parle avec eux sur le terrain », note un RPR. Mais « on ne va pas changer de stratégie tous les deux ans », réplique Eric Raoult, pourtant écoeuré par les « sourires des socialistes », dans les bureaux de vote de sa circonscription, devant les succès du candidat FN, qui annonçaient mécaniquement la défaite de l'ancien ministre de la Ville.

Comme si chacun avait bien senti le piège tendu par l'autre : Mégret, qui, en proposant la « discipline nationale », a voulu montrer aux électeurs de droite que les chefs du RPR et de l'UDF n'avaient rien appris ni rien retenu ; et l'ex-majorité, qui ne rêve que de diviser le FN.

Alors, le « débat » tourne court avant que d'avoir débuté. La droite a « devant elle trente ans d'opposition », notent, résignés, les plus pessimistes, prise comme dans un étau entre l'alliance avec le FN qui ferait fuir centristes et modérés (« si on cause avec Le Pen, la droite est morte pour trente ans ») et le refus d'alliance, qui la prive de sa base arrière. « On ne peut pas gagner avec à notre droite un parti de 15 % », diagnostique froidement Joseph Comiti, l'expérimenté président d'honneur des Amis de Jacques Chirac.

« Dans droite, il y a droiture »

Alors, tout est perdu ? Non. « Il faut déjà arrêter de leur cracher à la gueule, car on humilie alors leurs électeurs », note le député RPR Philippe Briant, qui doit sa réélection au soutien du FN, « qu'il n'a pas demandé », tient-il à préciser. Lui aussi a sa petite idée : « Il faut qu'on arrête le front républicain. Et qu'on ait une démarche authentique. » A défaut de parler aux chefs du FN, la droite engage une ultime tentative de se faire entendre de ses électeurs. Les nouveaux porte-voix ont pour nom Philippe Séguin et Alain Madelin. « Seul un mouvement gaulliste digne de ce nom peut réduire le Front national, raisonne William Abitbol, conseiller de Charles Pasqua, qui, comme son patron, se déclare hostile à toute alliance, et seul Philippe Séguin peut redresser le mouvement gaulliste. » Même si certains balladuriens notent déjà les paradoxes séguinistes « Séguin incarne à la fois le refus du Front national et le national-populisme », « Le FN est l'enfant de cette culture française, jacobine, autoritaire et monarchique, que défendent les séguinistes » , la plupart des RPR veulent y croire. Même écho chez les proches d'Alain Madelin : « Nous séduirons les électeurs du FN en étant nous-mêmes. Avec nos idées et notre vitalité. » « En retrouvant la fierté d'être la droite. Dans droite, il y a droiture », surenchérit Philippe Vasseur.

Pour l'instant, on en est là. L'arrivée de nouveaux chefs, un nouveau style, de nouveaux positionnements, plus « populaires », « nationaux » et « libéraux » : ils sont nombreux à droite à croire encore qu'ils pourront remonter le courant sans demander de l'aide au Front national. Qui, les pieds au sec sur la rive, serait ravi de leur remettre la tête sous l'eau. « Il est urgent de ne pas se précipiter. Si, demain, les socialistes instaurent la proportionnelle, tout sera changé », assure Alain Lamassoure. « Redevenons forts, pour redevenir attractifs, approuve son ancien collègue ministériel Philippe Vasseur. Après, on verra s'il y a des gens qui sont prêts à se désolidariser de propos fort peu républicains. »

Ainsi, à quelques mois des élections régionales, alors que les calculettes déjà au travail promettent au RPR et à l'UDF la perte de nombreuses présidences de conseils régionaux, la droite conserve pour ambition le seul débauchage individuel, ce qu'on appelle peu élégamment la « peyratisation », du nom du maire de Nice passé du FN au RPR - qui on l'aura vu lors des des élections législatives, n'a pas entamé le score du Front national dans sa circonscription - tandis que Jean-Marie Le Pen conseille à ses amis de ne « pas parler avec des gens qui vont mourir ». L'absence d'union aussi est un combat.

Eric ZEMMOUR

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