vendredi 30 mai 1997

Alain Madelin, ou la revanche du libéralisme made in France

Les hommes clefs des lendemains de campagne.


Longtemps Alain Madelin a mis les pieds sur la table. Il affectionnait alors un style prolétaire mal élevé-mal embouché, qui choque le bourgeois par ses grossièretés. Comme s'il réglait un vieux complexe social de fils d'ouvrier par la provocation, avec d'autant plus de délectation que le bourgeois en question a le style gourmet d'un Giscard ou d'un Balladur. En politique aussi, Madelin aimait à dire des gros mots, dont « libéralisme » fut longtemps son préféré. Comme une marque déposée même dans un rayon la France où être libéral a toujours été une tare. Une maladie honteuse. Alors, Madelin le libéral qui ne pouvait être qu'« ultra » n'était bon qu'à écrire des programmes jamais appliqués, lire avec avidité des théoriciens étrangers dédaignés ou brocardés, émettre des idées iconoclastes ignorées ou enterrées. « Vous avez raison intellectuellement, mon cher Alain, lui disait toujours Edouard Balladur, avant de rendre un arbitrage ministériel en sa défaveur, mais vous avez tort politiquement. »

Et puis, Madelin choisit Chirac. Le marginal soutint le « looser ». Sur un concept simple, qui paraissait ridicule aux stratèges en chambre du balladurisme triomphant : « L'élection ne se gagnera pas au centre, mais au peuple ».

A Bercy, le chouchou du Wall Street Journal entrait dans le temple de la « pensée unique » ; le « petit chose » se transformait en héros balzacien ; l'adolescent attardé devenait adulte. Mais sa joie fut de courte durée. Son règne au ministère des Finances fut éphémère. Et contesté. Le chantre de « trop d'impôt tue l'impôt » y avait en effet augmenté les taxes de plus de 100 milliards ; l'esprit rebelle s'était laissé convaincre par le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet ; et le politique s'était attaqué en vain aux forteresses verrouillées de l'intérieur du PR et de l'UDF. Sa démission forcée à la fin de l'été 1995 l'avait sauvé du désamour, faisant de lui le héros du petit peuple de droite, convaincu que l'esprit de réforme s'était éteint avec son départ de Bercy. Mais elle l'avait laissé sur le bord de chemin, désorienté et désoeuvré, sans parti ni ministère, ni mandat local, coincé entre son hostilité à la politique conduite par Juppé et sa fidélité à Chirac.

Campagne passe-muraille

Alors, avant même que le président de la République n'annonce la dissolution de l'Assemblée nationale, Alain Madelin ruait comme un pur-sang dans sa stalle de départ. Prêt à bondir pour le grand galop libéral. Affolés, Chirac et Juppé l'ont sans ménagement enfermé dans son box. Comme s'il ne parvenait pas à arracher de son dos ce dossard d'ultra dont l'a immédiatement affublé Lionel Jospin... et certains à l'Elysée et Matignon.

Pourtant, depuis quelques années, Alain Madelin ne mettait plus ses pieds sur la table de la politique française. Il cessait de couvrir l'Etat d'imprécations ; il admettait que cet Etat était constitutif de l'identité française ; il ne jouait plus au porte-parole des brookers de Londres ou de New York ; il ne citait plus les oeuvres complètes d'Hayek toutes les trois phrases ; il contenait ses pulsions libertaires, sur la consommation des drogues douces ou l'immigration ; il apprenait à parler la langue politique française, à décliner République, égalité des chances, et sécurités sociales. Son modèle n'était plus Margaret Thatcher mais Helmut Kohl ; et il affichait son respect pour les socialistes Jacques Delors et Tony Blair. En vain.

Jusqu'aux résultats du premier tour du 25 mai dernier. La cuisante défaite de la majorité redonnait du crédit à ses analyses : une campagne passe-muraille finit toujours dans le mur. Le départ forcé d'Alain Juppé rendait la vie au couple mythique de l'élection présidentielle Séguin-Madelin. Pour une nouvelle mission impossible. Les deux hommes ont en campagne une vitalité hors du commun. Leurs complémentarités se voient alors mieux, quand leurs contradictions risquent d'apparaître dans la gestion de tous les jours. Madelin apporte à Séguin ce qui lui manque, la confiance des marchés financiers, des patrons et de ce peuple de la boutique qui voit toujours dans le maire d'Epinal un indécrottable étatiste social-démocrate. Et une relation amicale avec Jacques Chirac.

Mais il vient naturellement en brillant second, qui peut seulement ambitionner de revenir à Bercy, et non de s'installer à Matignon. Déjà, en 1995, il avait cru que son rang de prince du chiraquisme lui donnait un statut à part au sein du gouvernement Juppé. Comme si, sur ses armes, il avait arboré en fière devise, « premier ministre ne puis, RPR ne veut, Madelin suis ». Deux ans plus tard, tout recommence. Alain Madelin n'a plus à démontrer son sens coupant de la formule, ni la finesse de ses analyses. Mais il doit encore prouver qu'il est capable de gérer un grand ministère, de réformer sans se perdre dans le dédale de ses réflexions, d'enraciner ses théories libérales dans la glaise de la réalité charnelle de la France. Quand il a quitté Bercy le 31 août 1995, Alain Juppé se récriait qu'il avait attendu pendant trois mois sa réforme fiscale. Jamais venue. Pour sa défense, Alain Madelin avait alors à coeur d'ouvrir ses dossiers, pleins de graphiques et de chiffres. Deux ans plus tard, il est pressé de les rouvrir, afin de montrer ce dont il est vraiment capable.

A l'époque, il avait préféré s'installer dans le bureau traditionnellement réservé au directeur de cabinet du ministre. Un grand cheval à bascule d'enfant trônait au milieu de la pièce. Il avait laissé les ors et les dorures du bureau Louis XV à son principal collaborateur. Comme un nouveau pied de nez au conformisme bourgeois. Comme un dernier geste de recul vis-à-vis d'un monde où il n'est pas né. Et où il tarde à s'installer sans états d'âme. Cette fois peut-être, si la majorité l'emporte par miracle, et si Alain Madelin alors retourne à Bercy, choisira-t-il de jeter ses épais dossiers sur le bureau réservé au ministre. Juste entre ses pieds et son cigare.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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