jeudi 22 mai 1997

L'oral de rattrapage de François Bayrou

« Ça ne change pas un homme, un homme ça vieillit », chante Johnny Hallyday. Et François Bayrou est en retard. Une heure que Marc-Philippe Daubresse, le candidat Force démocrate de la 4e circonscription de Lille, amuse le tapis dans la petite salle de Lambersart.
En faisant l'exégèse du dernier livre de l'absent : Le Droit au sens. Enfin, le ministre de l'Education nationale arrive. Il a ôté son béret basque qu'il arbore fièrement, comme un signe de piété filiale ; et rangé le micro-ordinateur qui ne le quitte plus. Bayrou badine. Bayrou séduit. Bayrou convainc. Bayrou est reparti. Direction Hazebrouck. Après Daubresse, Paul Blondel, et puis Gérard Vignoble. Et puis... Qui a dit qu'il ne faisait pas campagne ? Qu'il boudait en son « pays » de Béarn ? Qu'il ne « mouillait pas sa chemise » ? Lui s'est colleté avec Fabius, Aubry, sur les plateaux télé. Lui en est à sa dixième réunion publique de la journée. Non, pas dix, pas onze, douze. Un « marathon », vous dis-je.

« Si Jospin était Tony Blair »

Mais si Bayrou ne manque pas (en fin de compte) à la campagne, c'est la campagne qui a manqué à Bayrou. La dissolution, il était contre. Le principe et le moment. « On déclenche un orage, et on croit que l'orage va tomber sur la tête de Jospin... » Il craint beaucoup les réactions de ce peuple frondeur, qui vote en contre à toutes les élections depuis vingt ans : « Je ne sens pas du tout les résultats du premier tour... C'est la première fois que ça m'arrive... Le président m'a dit qu'il craignait un trop bon premier tour... Je l'ai rassuré. » Il faut dire que François Bayrou a de surcroît des raisons personnelles d'être chafouin : si Jacques Chirac avait laissé les échéances aller à leur terme, il eut été conformément aux accords conclus avec François Léotard l'an dernier le président de l'UDF en titre. Le partenaire officiel d'Alain Juppé à la tête de la majorité...

Bayrou doit se contenter de regarder passer les trains, sans perdre un aigu sens critique : « A la place de Léotard, j'aurais agi de manière complémentaire, plutôt que fusionnelle. » Ses proches sont plus acerbes : « Imagine-t-on Giscard, président de l'UDF, chauffer les salles pour le président du RPR ? » Alors, Bayrou fait campagne pour Bayrou. Soutenant ses candidats Force démocrate, sur ses thèmes de prédilection, à sa manière. Bien sûr, il attaque les socialistes. L'archaïsme de leur projet à « l'heure de la guerre économique mondiale », les 35 heures, les privatisations interrompues de France Télécom ou d'Air France. Mais il le fait sans la moindre agressivité, retrouvant sans avoir l'air la petite musique réconciliatrice de la campagne mitterrandienne autour de la France unie : « Il n'y a pas d'un côté les idiots et de l'autre les intelligents, d'un côté les gentils et de l'autre les méchants. »

Car cette dissolution impromptue n'a rien changé aux projets inlassablement poursuivis par Bayrou : « Il y a entre Balladur et Delors 30 % des Français. Européens, libéraux et sociaux. Je travaille à les rassembler au sein d'une force politique que l'on pourrait appeler démocrate, en opposition à un pôle républicain qui s'organiserait autour de Philippe Séguin. » Pour l'instant, cette campagne n'a donné qu'une seule bonne nouvelle à Bayrou : le Parti socialiste est « tombé » à gauche. « Si Jospin avait pris le positionnement de Tony Blair, ça aurait été beaucoup plus dur pour moi », reconnaît-il. Le président de Force démocrate est persuadé que le PS lui a ainsi libéré un large espace politique. Qu'il ne cesse depuis quatre ans de labourer, au contact des syndicats enseignants, qu'il a peu à peu découverts, respectés, appréciés. Comme une séduction réciproque. Comme si le ministre leur avait servi de bouclier contre les menaces venues de la droite. Comme si, en échange, Bayrou avait fait un investissement politique et électoral à long terme. Avec eux, il a expérimenté son intuition d'une « nouvelle société », comme disait Chaban-Delmas, de « participation », comme disait le général de Gaulle, une « société de confiance », comme dit Bayrou. « Le temps où on décidait d'en haut, et où on obéissait en bas, est fini », ne cesse-t-il de répéter à des publics compacts, attentifs, et ravis. Et de plaider avec chaleur pour une société « humaniste », qui combat tout à la fois « les intégrismes et les matérialismes ».

Ne rien exclure

C'est fini. François Bayrou a remis sa veste, signé les derniers autographes, « sur ma carte d'enseignant », lui glisse une jeune femme, avec un sourire ravi. Demain sera un autre jour. Ministre ou pas, simple député ou pas, retournant dans son « pays » ou pas, Bayrou prend soin de ne rien exclure. Comme s'il craignait de ne plus être à sa place dans un gouvernement Juppé III, où les libéraux comme Sarkozy et Madelin auraient leur place, où Léotard reviendrait en force. Irrésistiblement décalé, comme dans cette campagne. « En politique, les fautes de temps sont plus graves qu'en grammaire », vient-il d'expliquer à ses auditeurs.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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