lundi 26 mai 1997

Le temps de l'après-Le Pen

Rien ne sera plus comme avant au Front national. Dans ce parti qui a le culte du chef, le chef a manqué. Il s'est laissé surprendre par une dissolution. Il n'a pas osé affronter le suffrage universel. Surtout, il a été publiquement contredit et recadré. D'habitude, ses provocations verbales soudaient ses partisans derrière lui ; cette fois, son désir ardent de voir Lionel Jospin à Matignon a dérouté ses électeurs et exaspéré ses candidats, soucieux de récupérer les déçus du chiraquisme.


Cette version lepéniste du « vote révolutionnaire » a cruellement montré que le temps politique de Jean-Marie Le Pen n'était plus celui du mouvement qu'il a tiré du néant. Le Pen ne rêve plus que de grands chambardements, tandis que son parti est en train d'édifier un prosaïque frontisme municipal.

En quelques semaines, cet inéluctable divorce s'est précipité : la victoire de Catherine Mégret à Vitrolles, le succès de son mari au congrès du FN, à Strasbourg, ont permis à ce dernier d'exercer sans danger son droit de remontrance. Derrière lui, il eut pour une fois le soutien de Bruno Gollnisch et de toute la vieille garde frontiste qui ne peut et ne veut renier ses racines droitières.

Parti majeur

Après les premières estimations de 20 heures, Bruno Mégret n'a pas tardé à proclamer que ce résultat était meilleur que celui de Jean-Marie Le Pen à la dernière élection présidentielle. Comme s'il était pressé d'affirmer que son parti est désormais majeur, qu'il peut se passer de la figure tutélaire de son fondateur. Comme s'il avait hâte de revendiquer « sa » victoire, lui qui fut la figure de proue médiatique de son parti, et l'organisateur en chef. Comme s'il était ravi de montrer que sa tactique électorale devenir, avec quelques députés, un parti charnière au Palais-Bourbon était d'avance ratifiée par les mauvais résultats de la majorité.

Mais tout n'est pas rose pour le délégué général du FN. Son élection à Vitrolles n'est pas assurée, même si la disparition du candidat RPR au second tour lui donne une chance sérieuse de l'emporter. D'autres que lui, à Toulon, à Perpignan ou à Tourcoing, pourraient recevoir à sa place l'onction du suffrage universel. C'est lui également qui a privilégié le combat contre l'euro et la mondialisation. Ces thèmes-là ont certes embarrassé la gauche de la gauche, désagréablement surprise de voir « le diable » enchaîner mot à mot les mêmes raisonnements implacables, et une droite villiériste privée ainsi de son ultime différence avec l'extrême droite. Mais ils n'ont pas permis au Front national de se propulser au coeur de la campagne électorale. Enfin, sur le terrain, on a pu constater comme une discrétion inhabituelle, des militants moins pugnaces, des candidats moins présents. La peur des provocations de Ras l'Front ne peut expliquer seule cette campagne en pointillé.

Alors, si le temps de Le Pen est passé, celui de Mégret est-il déjà venu ? Le temps d'une campagne, les doutes et les divisions de ce parti sont brusquement remontés à la surface, montrant avec acuité les contradictions d'un électorat de plus en plus composite, fait de catholiques traditionalistes et d'ouvriers déchristianisés, d'anciens de l'OAS et de communistes. Il n'est pas certain que Bruno Mégret sache représenter toute la complexité de son mouvement, et concilier un éventuel rapprochement tactique avec une partie de la droite, qu'il a d'ores et déjà programmé, et la pureté idéologique de cette « grande alternative » qu'il a lui-même inaugurée. S'il ne s'en révèle pas capable, le temps de l'après-Le Pen, qui s'est brutalement ouvert au cours de cette campagne, pourrait aussi être celui du retour aux délices et poisons de la division et de l'éclatement.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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