mardi 20 mai 1997

Doubles jeux

Jean-Marie Le Pen dirige-t-il encore le Front national ? Certes, il n'a jamais appelé ses électeurs à voter pour les candidats de gauche. Plus subtilement, il s'est contenté de dépeindre Lionel Jospin sous des couleurs moins criardes qu'à l'accoutumée. Et de souhaiter une cohabitation. Mais le président du Front national a sans doute surestimé la subtilité de son parti.
Qui a renâclé. Pesté. Déjà, le « ni droite ni gauche » lui était resté en travers de la gorge. Ses électeurs ont beau venir, pour une part croissante, des milieux populaires, des anciens bastions communistes, des classes les plus déchristianisées, les cadres du parti ne veulent pas renier leurs racines droitières. Comme si Le Pen était allé trop loin, trop vite. Comme si sa haine de Chirac l'avait aveuglé. Comme s'il n'avait pas vu les sondages qui indiquent qu'une majorité de son électorat continue à vouloir se reporter, au second tour, sur la droite RPR-UDF. Comme s'il n'avait pas prévu que son parti refuserait cette fois de le suivre. Comme si, à force de négliger la vie de tous les jours, il ne connaissait plus ce mouvement qu'il a tiré du néant. Comme si son temps politique n'était plus le même que celui du FN. Pressé par l'âge qui vient, absent des terrains pour la première fois, il ne rêve que de grands bouleversements et d'une ultime campagne présidentielle. Son parti, lui, peut attendre des jours meilleurs. Et son délégué général, Bruno Mégret, s'installer confortablement dans le siège de député des Bouches-du-Rhône dont il rêve. Mais pour battre son adversaire socialiste, Henri d'Attilio, il a besoin des voix du RPR et de l'UDF. Car Bruno Mégret poursuit dans ce département une stratégie de remplacement de la droite. De toute la droite. Place pour place.

Une stratégie que bouleversaient les propos de Le Pen. Pas forcément un hasard d'ailleurs. Déjà, en 1993, Mégret avait eu la déplaisante impression que Le Pen s'était entendu avec Bernard Tapie, alors candidat dans la circonscription voisine de Gardanne, sur son dos...

Pris au mot

Jean-Marie Le Pen lui faisait ainsi un formidable pied de nez. Après tout, c'est Mégret qui a résolument installé le parti sur les terres idéologiques de la lutte contre la mondialisation, où s'ébattent aussi les communistes et les chevènementistes. Le Pen a pris Mégret au mot, alors que celui-ci n'oublie jamais de prôner électoralement la fédération des droites, sur le modèle italien. Comme si Le Pen ne s'était pas aperçu que, pour ces élections législatives, le plus grand réservoir de voix du FN se trouvait dans les déçus du chiraquisme.

Officiellement l'objectif de Le Pen est désormais le même que celui affiché par Mégret : obtenir une dizaine de députés dans une Assemblée rendue ingouvernable par l'absence de majorité. Mais Le Pen connaît trop la politique pour ignorer que, dans ce cas-là, le pouvoir passerait de Saint-Cloud au Palais-Bourbon. Du président du parti au porte-parole du groupe. De Le Pen à Mégret. Définitivement.

Eric ZEMMOUR

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