lundi 5 mai 1997

Quand Jospin braconne sur les terres de Séguin

C'est un match dans le match. Un marquage serré « à la culotte », où tous les coups sont permis. Thierry Roland aurait sûrement ajouté : « Ces deux-là, ils ne passeront pas leurs vacances ensemble ! »


Lionel Jospin et Philippe Séguin n'ont pas attendu ces élections législatives pour en découdre virilement. On se souvient de cette campagne présidentielle de 1995, où Philippe Séguin avait écarté d'un large revers de main le « pauvre » Jospin, candidat marginal au regard de la confrontation historique Balladur-Chirac. Lionel Jospin supporte tout sauf le mépris. Depuis lors, le premier secrétaire du PS n'avait de cesse d'interroger avec ironie : « Où est le républicain Séguin ? Que dit-il ? » Loi Debré ou Vitrolles, tout était bon. Séguin restait de marbre.

Et puis, Jospin a lancé sa campagne législative autour de la défense du « modèle républicain », contre « le capitalisme dur ». Et puis, Chevènement, Fabius, ont appelé les électeurs séduits par Séguin à voter pour la gauche. Et puis, le président de l'Assemblée nationale, mardi dernier à Mantes-la-Jolie, a dénoncé avec grand fracas « la capitulation ultralibérale de la gauche ». Et de mitrailler en rafale : Vilvorde, c'est la gauche, l'Europe allemande, c'est la gauche, la dérive libérale, c'est la gauche.

Comme si Jospin avait touché, par son positionnement républicain, au coeur de la mystique séguiniste. Philippe Séguin n'a pas de parti à sa dévotion ni le pouvoir en sa possession ; il protège d'autant mieux son pré carré. Un espace politique qu'il s'est taillé seul, à grands coups de serpe, à un moment où la nation, la République et « la sociale », avaient été jetées aux orties par le gouvernement socialiste de 1988-1993, et son opposition RPR-UDF, toutes deux converties au culte des dieux lares du libéralisme et de l'européisme. En 1995, il dut se résoudre à offrir, sur un plateau d'argent, ce joyau à Jacques Chirac.

Bataille de tranchées républicaines

Depuis lors, Philippe Séguin est bien décidé à incarner « seul » la République, et à ne laisser aucun discours, aucune influence, aucune concurrence, écorner son exclusivité. De son côté, influencé par ses conseillers, Le Gall, Vaillant et Allègre, Lionel Jospin a compris qu'en méprisant le besoin de sécurité et l'attachement aux plis du drapeau tricolore, la gauche déjà « coupable » des grandes restructurations industrielles à la hache avait fait fuir son électorat populaire.

Soucieux de ressembler à un chef de parti social-démocrate à la scandinave, Lionel Jospin avait longtemps dédaigné cette « exception française » : une tradition gaullo-bonapartiste qui, par un discours républicain, national, et social, séduit les classes populaires, et les « détourne » d'un vote de gauche, que les élites de la bourgeoisie socialiste considèrent comme leur bien. C'est le général de Gaulle recueillant trois millions de voix communistes et ouvrières. Et Napoléon III accordant le droit de grève. La biographie de Napoléon le grand, écrite par Philippe Séguin, fut publiée après la guerre du Golfe. Et avant le référendum sur Maastricht, où le « non » conquit les plus solides terres de la gauche. Mais tout à leur querelle de prééminence, Séguin et Jospin dédaignent un troisième larron qui cherche lui aussi à tirer les marrons du feu populaire, patriote, et républicain : le Front national, devenu le « premier parti ouvrier de France ».

Entre Lionel, Philippe, et les autres, la bataille de tranchées républicaines est loin d'être terminée.

Les affrontements à venir seront féroces, car personne n'aura plus l'avantage de la surprise. Ils feront ressembler les prises de bec de cette campagne législative à d'aimables conversations de salon.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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