vendredi 9 mai 1997

La chronique d'une bataille électorale

Les deux légitimités qui se disputent la Vendée


Il porte des costumes classiques de fort bonne coupe. Sa phrase est ronde comme un bon vin de Bordeaux, sa conversation agréable comme un fauteuil anglais, son élégance discrète de grand bourgeois tiré d'un roman de Mauriac. Quand Michel Crucis était président du conseil général de Vendée, il ne manquait jamais de finir ses discours par « ma douce et chère Vendée ». Aujourd'hui, le paisible retraité est sur le sentier de la guerre. Contre son successeur, Philippe de Villiers. « Philippe est brutal, d'une brutalité inouïe, méchant, oui. Il a des idées imprégnées de féodalisme. Il n'est pas permis à un vassal d'avoir un avis différent du suzerain. Sinon, il est jugé infidèle. »

Violence verbale

Dans son bureau parisien de l'UDF, avenue Charles-Floquet, Philippe Mestre, élu sortant de la deuxième circonscription de Vendée, est plus mordant encore : « Philippe est un fasciste. Son parti est d'extrême droite, et ses méthodes sont fascistes. Il coupe les subventions aux élus qui ne sont pas d'accord avec lui. Il fait régner la peur. C'est tu es avec moi ou je te tue. » Entre l'austère directeur de campagne de Raymond Barre à la présidentielle, et le sautillant secrétaire d'Etat du gouvernement Chirac en 1986, les relations ont depuis lors suivi le cours passionné d'un père sévère morigénant en vain un fils rebelle qui, tellement plus doué, transforme la Vendée, son histoire tragique, la grandeur de ses paysages, et sa mer tourmentée, en un dynamique supermarché culturel, touristique et politique, quand l'autre se serait contenté de gérer pépère sa petite boutique de quartier.

Pour Villiers, Mestre est un apparatchik, un préfet de région péniblement monté en grade ; pour ce dernier, « Philippe » est un excité à qui il a lancé un jour : « Partout où tu mets les pieds, tu fous la merde. »

Sous les ors du Palais du Luxembourg, le sénateur Jacques Oudin ne pense pas autrement : « Villiers (il ne dit pas Philippe, comme pour montrer qu'il n'est, lui, le RPR, pour rien dans son ascension) est foncièrement un extrémiste, qui utilise la violence verbale pour dissuader ses adversaires. » Entre les deux hommes, il y a une vieille rivalité pour cette présidence du conseil général que le sénateur convoita longtemps en vain ; une opposition de tempérament aussi : « Les deux sont énarques, mais Oudin a pris le moule, et Philippe l'a rejeté », note un villiériste acide ; mais aussi un intérêt commun à des recompositions politiques le RPR, longtemps laissé à la porte de la majorité vendéenne par une UDF dominatrice, se retrouve au coeur de la résistance à Villiers, qui a drainé vers son nouveau mouvement l'essentiel des troupes et cadres libéraux et centristes.

Aussitôt connue la nouvelle de la dissolution, et les premières déclarations dissidentes de Villiers, ces trois-là ont créé un « comité de soutien aux candidats de la majorité ». Qui s'est empressé avec la bénédiction du RPR et de l'UDF de jeter deux candidats dans les pattes villiéristes : le RPR Marcel Albert, dans la quatrième circonscription, celle du bocage vendéen, le domaine du vicomte lui-même ; et l'UDF Bernard Suaud dans la deuxième, où régnait naguère Mestre, avant qu'il ne décide que 70 ans était un bon âge pour raccrocher les urnes. Mais, comme le dit, avec un sourire narquois, Mestre citant La Rochefoucauld, « il y a dans le malheur de nos amis, quelque chose qui ne nous déplaît point ».

« Jurassic Park »

Dans cette bataille oedipienne à l'envers, où les papys veulent tuer le fils « c'est Jurassic Park », se moque cruel et goguenard, Villiers se mêlent ressentiments, frustrations personnels, et arguments politiques. Les vendéens sont prudents, la Vendée est légitimiste, et ils se demandent où Villiers les emmène, affirment en choeur ses adversaires. « Nous avons voté à 67 % pour Chirac en 1995. Et nous nous réveillons dans l'opposition. Ça fait un choc. » La région est traditionnellement pro-européenne, démocrate-chrétienne, et la croisade anti-Maastricht de Villiers, un temps partagée par certains qui s'opposent désormais à lui, affole des notables issus de mouvements agricoles et des jeunesses catholiques. C'est enfin un procès en « sérieux » qui est fait à Villiers, quand est brocardé son candidat dans la deuxième circonscription, Bernard Caillaux, « un sauteur », « un homme qui n'a pas d'agenda » ; ou lorsque sont détournées les initiales du nouveau mouvement villiériste : « DI, ce n'est pas Droite Indépendante, c'est Droite Irresponsable ».

Alors, entre les deux camps, la guerre de légitimité fait rage : légitimité nationale, pour les uns, derrière le président de la République et la majorité ; départementale pour les amis du président du conseil général qui, le plus souvent occupé à d'autres batailles... nationales, laisse son fringant suppléant, Bruno Retaillau, et ses amis, mener une campagne de terrain, reposant sur « ses réalisations concrètes ». Qui ne sont nullement contestées par ses adversaires. Car les mêmes qui dénoncent Villiers, son « rouleau compresseur » et son image « rétrograde » n'ont pas de mots assez élogieux pour vanter son action à la tête du conseil général, son Puy-duFou, son Vendée Globe, ses autoroutes, sa formation professionnelle, etc. Et ne seront pas, demain, les derniers à solliciter le président du conseil général pour une inauguration, pour un mot, un sourire, son charme, son charisme... Comme s'ils devaient assumer quoi qu'ils en aient le paradoxe vendéen qui contredit toutes les idées reçues de l'historiographie progressiste. Ainsi, a-t-on vu le bocage au nord du département, pourtant enserré dans son héritage hobereau, ses traditions catholiques, ses écoles avec crucifix et ses familles nombreuses, accoucher d'un dynamisme économique insolent, avec ses cent Fleury Michon qui s'épanouissaient, tandis que le Sud, avec son ouverture au monde, sa conversion rapide aux idées républicaines, et ses traces persistantes d'influence protestante, demeurait à la traîne.

Mais président de tous les conseillers généraux, Villiers, de son côté, est lui aussi gêné aux entournures. Et, contrairement à ce qu'il faisait partout en France, il n'a pu, dans les trois autres circonscriptions de son département, présenter de candidats à lui, se contentant d'adouber les sortants investis par la majorité présidentielle. Ceux-là, de Jean-Louis Préel à Louis Guédon, en passant par Bernard Sarlot, traversent la magnifique campagne vendéenne de long en large, évitant prudemment les balles perdues, parlant d'autre chose, ménageant le Puy et le Fou, un oeil sur la gauche, et l'autre sur les vaches qui paissent, dédaigneuses des querelles subalternes. Car, comme le dit sagement Bernard Sarlot : « Tant qu'il y aura des vaches qui paîtront dans les prés de Vendée, on sera un pays civilisé. »

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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