vendredi 16 mai 1997

L'éclatant retour de deux solitaires

Le premier ministre et le premier secrétaire du PS poursuivent leur duel à distance.


On leur avait fermé la porte au nez ; ils sont rentrés par la fenêtre. Ils boudaient dans leur coin ; ils brillent sous les sunlights. Ils étaient proscrits ; on les appelle de toutes parts. Leurs thèmes privilégiés, Europe pour l'un, libéralisme pour l'autre, étaient devenus de gros mots, des pommes de discorde ; ils reviennent en force, s'imposent comme des évidences, des signes de ralliement, coeurs de cible et de débat, éléments indispensables de différenciation entre gauche et droite, dans une campagne qui faillit mourir précocement sous l'alliance irréelle de l'invective désuète et de la convergence idéologique.

Les duettistes de la campagne Chirac, Séguin et Madelin, sont de retour. Aux premiers rangs. Comme si Philippe Séguin était désormais le Red Adair incontesté des campagnes de la droite. Comme si le libéralisme ne pouvait plus seulement être « honteux », mais marque de fabrique obligée de toute politique qui se veut « moderne ».

Cela n'a pas été sans mal. Bien plus que sa prétendue conversion à Maastricht acquise publiquement au soir même du référendum perdu de justesse , c'est la reconnaissance de la primauté libérale qui écorchait le plus la bouche de Philippe Séguin. Sa religion de l'Etat et ses tendresses sociales-démocrates avaient fait oublier qu'il supprima l'autorisation administrative de licenciement ; et que l'on doit à l'un de ses fidèles, François Fillon, la plus « belle » réforme libérale de ces dix dernières annés, avec la privatisation réussie de France Télécom. Comme si le « paradoxe français » qui vit de Gaulle accorder l'indépendance à l'Algérie et les socialistes terrasser l'inflation se perpétuait. Comme si Séguin, le héraut de la République, revenait ainsi aux origines de celle-ci, lorsqu'elle imposait grâce à l'appui des couches moyennes qui y voyaient une chance de promotion sociale le règne de l'économie libérale au corporatisme monarchiste et au socialisme marxiste.

Madelin a parcouru le chemin exactement inverse. Redécouvrant les mérites de la République et de la sociale. Du « libéralisme à la française ». Et demain, de l'Etat à ne pas confondre avec sa maladie, qui contamine un pays historiquement façonné par lui : l'étatisme.

Comme si les deux hommes tenaient à opérer eux-mêmes la synthèse de leurs positions, longtemps inconciliables, et ne plus laisser, comme en 1995, Alain Juppé imposer une présence médiane. Et dominante.

Mais ces rencontres, ces convergences, ces ponts suspendus, ne règlent pas tout. Loin de là. Philippe Séguin est devenu l'évident successeur d'Alain Juppé, mais sa cote dans les sondages doit beaucoup à l'apport des électeurs de gauche. Alain Madelin ne parvient qu'à grand peine à sortir de sa « clientèle » sociologique et sa caricature : « petits patrons effondrés sous le poids des charges ».

Surtout, les deux hommes sont des solitaires, sans parti ni candidats. Leur poids dans la campagne est étalonné à l'aune de leurs talents d'orateur, leur épaisseur politique et leur présence médiatique. Mais comment l'évaluer dans les urnes ? Comment les électeurs pourraient-ils exprimer une adhésion privilégiée à leurs messages et à leurs personnes ?

Ainsi, les deux hommes demeurent-ils dans la main du chef de l'Etat. Qui peut entendre comme il le désire « le message donné par l'élection ». Ne pas suivre les conseils pressants et nombreux de tous ceux qui lui suggèrent de lâcher Juppé pour « ne pas se suicider avec lui ». Et prolonger le bail de l'actuel premier ministre jusqu'après la naissance de l'euro. Encore un an, monsieur le Bourreau !

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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