jeudi 29 mai 1997

Les mousquetades de Jack Lang

Jadis, les mousquetaires « crevaient » leurs montures sous eux. Aujourd'hui, ce sont les montures de fer et de feu qui « crèvent » les mousquetaires sur eux. Pour Jack Lang, comme pour les autres envoyés spéciaux du PS dans toute la France, c'est la ronde infernale des avions, voitures, hélicoptères, discours enchaînés, mêmes mots partout ressassés, mains que l'on serre à l'aveugle, sourires que l'on échange trop vite, et ce temps, obsédant, après lequel on court : « On est en retard ? »


Il s'agit de montrer que les socialistes sont une équipe unie, soudée. Ce n'est plus le temps des divergences naguère encore évoquées, comme cette privatisation de France Telecom qui ne lui fait pas peur. Non, Jack Lang, comme les autres socialistes, ne veut laisser passer une pareille occasion de vaincre. Et a à coeur de montrer enfin que Lionel Jospin n'est pas un homme seul.

Alors, à cheval ! Direction La Baule. Roland Leroux, le candidat socialiste de la 7e circonscription de la Loire-Atlantique, celle d'Olivier Guichard, l'attend sagement. Sur la petite place, quelques retraités sont là, qui l'entourent. Claude Evin est venu aussi, en voisin presque dégagé des obligations électorales. Lang n'est pas encore chaud. Il rôde son discours devant les micros de la presse régionale. On l'interroge sur la démission annoncée d'Alain Juppé. il traite cela avec un dédain travaillé. « Péripétie », « désarroi, panique, majorité découronnée de son capitaine », les mots reviendront sans cesse tout au long de la journée. Et puis, c'est déjà fini. Il se lève. Pressé, il doit débattre téléphoniquement avec son adversaire de Blois, pour une radio locale. Enfin, il raccroche. Les militants peuvent rentrer. Heureux. Un verre de muscadet. Une huître avalée à la va-vite. La caméra de TF1 qui tourne. Déjà, les portes des voitures claquent.

Direction Poitiers. Le maire l'attend. Et les autres candidats aussi. Même ceux qui n'ont pas besoin de son aide pour l'emporter au second tour. On ne sait jamais. On se balade dans les rues piétonnes du centre ville, entre les maisons médiévales et les boutiques franchisées. Un instant, la cohorte s'immobilise devant la somptueuse église romane qui trône sur la grand place. Comme un souffle d'éternité qui vient balayer les miasmes électoraux.

L'avion atterrit à Grenoble. Et l'hélicoptère s'élève au-dessus des montagnes dans un ciel de plus en plus bleu. A Gap, le soleil brille, les filles sont en fleur, les maisons arborent avec une fière élégance leurs façades aux couleurs pastel. Sur la place Jean-Marcellin, le manège tourne sous les cris des enfants, une dame a apporté un bouquet de roses rouges, un micro a été planté.

« Mitterrand disait... »

Jack Lang s'échauffe : « Nous voulons changer la démocratie, changer la politique, et tourner le dos à cette méthode de gouvernement faite de cynisme et de mépris. » Il ne dit plus « changer la vie », mais les gens applaudissent. Il dénonce « le moins d'Etat », sous les acclamations du public, qui n'écoute guère lorsqu'il rappelle, raisonnable, qu'il ne faut surtout pas « gaspiller l'argent public ». Lang n'a pas le temps de leur expliquer qu'il n'est pas ce qu'il paraît être : « Mitterrand disait toujours que j'étais un harpagon des deniers publics », raconte-t-il volontiers en privé, avant d'ajouter, certain qu'il ne l'obtiendra jamais : « Je me verrais bien au ministère du Budget. Je trouve que les hommes politiques manient les milliards avec souvent beaucoup d'amateurisme. »

Mais pas le temps de s'apesantir. L'hélicoptère attend. Et l'avion aussi, qui le dépose au milieu de l'Ardèche. Les trois candidats qui l'accueillent n'en reviennent encore pas de recevoir une vedette du parti. Sur la petite place d'Aubenas, entre château fort et mairie, ils ont pavoisé une tribune improvisée aux couleurs du PS. La foule des grands jours est là qui attend, en dépit de la chaleur étouffante et des moucherons. Il y en a même qui sont montés sur les toits des maisons de pierre.

On le présente : « Ancien ministre... et futur ministre. » Jack Lang, ébloui par l'accueil, se laisse aller. Oubliés la fatigue et l'avion du retour. « J'ai écouté le président de la République. Mais pourquoi font-ils le contraire de ce qu'ils disent ? » Et de revenir sur les promesses du candidat Chirac. Et sur le départ d'Alain Juppé : « C'est une politique qu'il faut changer, pas une binette. » La foule rit, applaudit. Conquise d'avance.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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