samedi 3 mai 1997

Vive Tony Blair !

Un seul être apparaît et tout est repeuplé. La droite, la gauche, et le centre ont enfin trouvé l'homme providentiel, qui réconcilie le libéralisme et le social, la nation et l'Europe, le passé et l'avenir, la jeunesse et l'expérience : Tony Blair. Il est l'homme du « travaillisme libéral... qui a fait renoncer son parti au socialisme », pour Alain Juppé, tandis que Pierre Mauroy voit dans le nouveau premier ministre britannique celui par qui les « Britanniques ont mis un terme à la spirale ultralibérale ».
Aux yeux du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charette, il est le symbole d'un « recul de l'euroscepticisme britannique », tandis que Jean-Pierre Chevènement y voit une chance inespérée de « sortir de l'ornière libérale et de rompre avec la bureaucratie communautaire ». Moderne, forcément moderne, Tony Blair « témoigne du rejet du thatchérisme en Angleterre au moment où certains en France continuent contre toute raison d'en faire leur référence », comme le dit le socialiste François Hollande, alors que le secrétaire général du RPR Jean-François Mancel estime que le juvénile locataire de Downing Street « creuse un peu plus les rides des ambitions archaïques de la coalition socialo-communiste ». Lionel (Jospin) écrit à son « cher Tony », et se prend déjà pour lui, lorsqu'il se réjouit que « les Britanniques aient su, pour changer d'avenir, changer de majorité ». Laurent Fabius évoque lui aussi son ami « Tony », mais on sent qu'il le trouve beaucoup plus charismatique que Lionel Jospin. Et François Bayrou y voit un « centriste », qu'il enrôlerait bien dans Force démocrate.

Et s'ils avaient tous raison ? Et si cette salve de louanges ne trahissait pas seulement la très humaine fascination pour la victoire, mais aussi, surtout, la gêne et l'envie des politiques français qui ne parviennent pas à être eux-mêmes, dans une campagne où règnent les faux-semblants et les positionnements purement tactiques ?

Et si la droite ne se pardonnait pas de ne pas oser être la droite, telle que le fut Maggie Thatcher, libérale, « off course », mais ausi nationaliste et sécuritaire. Sans complexe ni mauvaise conscience. Et si la gauche en voulait à ses adversaires et à elle-même de ne pas pouvoir aller au bout de la révolution qu'elle avait esquissée au pouvoir, et d'être obligée d'inventer des recettes néokeynésiennes, dans lesquelles la plupart de ses leaders, de Fabius à Lang, ne croient pas ?

Ce positionnement bancal de la vie politique française fait le bonheur du Front national, qui se paie le luxe d'être à la fois libéral et protectionniste, ultra-sécuritaire et nationaliste, et d'attirer malgré tout des électeurs d'une gauche populaire, après lesquels Lionel Jospin court sans qu'on n'ose encore lui jeter au visage ce que la gauche ne cesse de ressasser à la droite de loi Pasqua en loi Debré : « Les électeurs préféreront toujours la copie à l'original. » Il est vrai que le premier secrétaire du Parti socialiste n'a pas la chance, comme Tony Blair, ou Bill Clinton, d'avoir en face de lui une droite qui fait son travail de droite : qui a retenu le score du National Front aux élections britanniques ? Qui a relevé le score de l'abstention, qui sera, sans aucun doute, en France, l'autre manière pour les électeurs de montrer leur désapprobation ?

Alors, pour oublier tout ça, vive Tony Blair !

Éric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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