mardi 27 mai 1997

Une attente de trente ans

C'est un vieux rêve à portée de la main. Casser la droite, pour la recomposer, la viriliser, la dominer. Quand Jean-Marie Le Pen fonde en 1972 le Front national, il est convaincu que la mort du général de Gaulle entraînera la ruine du mouvement gaulliste ; et qu'il pourra reconstruire sur ses ruines un parti qui réconciliera le « peuple de droite » après les « trahisons » du fondateur de la France libre, et du « bradeur » de l'Algérie.
Quand Bruno Mégret, Jean-Yves Le Gallou et Yvan Blot quittent le Club de l'Horloge, ils comptent bien, tels des exilés de leur patrie, retourner rapidement dans une droite nettoyée de ses miasmes gauchisants. Quand l'Italie se dote d'un gouvernement Berlusconi, où l'ex-parti fasciste de Fini prend une part essentielle, Bruno Mégret y voit l'exemple à suivre. Mais à chaque fois, la droite tint bon ; son môle gaulliste ne lâcha pas prise ; et rendit vains les espoirs de recomposition de l'extrême droite.

Cette fois, une défaite de la majorité précipiterait sans doute ces chevaux fourbus du RPR et de l'UDF vers le sinistre abattoir de l'autodestruction. Pas assez libérale, pas assez gaulliste, pas assez à droite, trop Juppé, les condamnations de la campagne se ramasseront à la pelle ; et les règlements de comptes aussi. Séguin, Madelin, Pasqua, Léotard, Bayrou, Juppé, la guerre de tous contre tous donnerait au FN la chance qu'il attend depuis près de trente ans. Il ne la ratera pas. Avec cet objectif simple détruire la droite , il y a de quoi réconcilier Le Pen et Mégret, les vieux maurassiens et les nouveaux convertis communistes, la boutique et l'atelier. Car la droite et l'extrême droite à défaut de s'être entendus il y a plusieurs années sont désormais engagées dans une course à la mort où l'un est convaincu que la disparition de l'autre est la seule condition de sa propre survie.

Deux fers au feu

Mais l'extrême droite, en exil prolongé de la droite, a changé. L'ancien partisan de Tixier-Vignancour est devenu minoritaire ; les ouvriers et les chômeurs, à la culture politique ancrée à gauche, font masse ; le nombre des électeurs qui ne conçoivent pas de ne pas se reporter au second tour sur la droite RPR-UDF s'effrite d'élection en élection, jadis 80 %, hier 50 %, aujourd'hui 40 %. Les autres communient dans l'exécration de « l'établissement », de « la bande des quatre », de la « pensée unique ». Ils comprendraient mal une stratégie qui verrait le FN jouer les sauveurs, même dominateurs, d'une droite qui les a agonis d'injures. Et ne seraient pas choqués de voir leurs chefs enjamber le clivage droite-gauche, pour rassembler, autour du repère national, le choeur des anti-Maastricht, des ennemis de la mondialisation et du libre-échangisme. Ainsi, ce que n'ont pas osé réaliser Séguin, Pasqua, Chevènement, au lendemain du référendum sur Maastricht, ce grand rassemblement des « républicains » et des « patriotes », qui aurait noyé le FN dans un bain trop grand pour lui, le mouvement de Le Pen rêve de le faire à son profit.

Ces stratégies alternatives sont les deux fers au feu du Front national. Quel que soit le choix final, elles ont toutes deux besoin d'un préalable : la défaite du RPR et de l'UDF le 1er juin prochain.

ERIC ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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