jeudi 15 mai 1997

Béthune : la marque de Mellick

« La bête n'est pas morte ». Ils le disent, ils le craignent, ils le voient partout. Derrière le candidat vert, Serge Pacheka. Faisant du porte-à-porte avec lui. Recevant les industriels dans un bureau de la mairie de Béthune qu'il aurait conservé. Accueilli comme un roi dans les quartiers populaires du Mont-Liebaut. Manipulant les uns, déstabilisant les autres, les enferrant tous dans son implacable « système ». Le « diable ». Toujours vivant. Toujours menaçant.


Pourtant, Jacques Mellick n'est plus rien. Ou presque. Ni ministre, ni député, ni maire. Simple premier secrétaire de la section socialiste de Béthune. Inéligible pour cinq ans. Mais tout se passe comme si la vie politique béthunoise, pour cette première élection législative sans lui depuis 1977, avait du mal à s'émanciper de son orgueilleuse tutelle. Bien sûr, son suppléant devenu son remplaçant, Bernard Seux, s'efforce de chanter l'air connu du « Lui, c'est lui, moi, c'est moi » : « Jacques Mellick n'est pas mon souci. Je suis totalement indépendant. D'ailleurs, j'ai des locaux indépendants. » Bien sûr, le candidat de la majorité, l'UDF-Force Démocrate Jean-Pierre Deruelle, veut tourner la page, et « ne pas pleurer sur le lait renversé ».

Et tous deux de brocarder cette pauvre « Marie-France » Deleflie, maire de la commune limitrophe d'Annezin, ancienne institutrice, ancienne socialiste, qui se veut désormais « ailleurs », au visage aigu en lame de couteau, aussi coupant que ses propos, qui poursuit inlassablement le combat à la fois conviction sincère et fonds de commerce électoral contre le « système », qui lui permit de faire mordre la poussière au fils Mellick, lors d'une cantonale de 1994. Alors, dans un tourment d'imprécatrice, elle dénonce « la politique alimentaire. Au sens propre, monsieur... Les bouteilles de Ricard qu'on distribue, l'amicale laïque, la franc-maçonnerie, le partage des rôles avec Seux, son clone, qui a pris les repentis, tandis que Mellick gardait les inconditionnels. Il contrôle tout, monsieur... C'est le parrain ! »

Une telle fureur gêne le candidat de la majorité. Ce tranquille démocrate-chrétien, assureur de son métier, voit en Marie-France Deleflie se lever une rivale, plus pugnace, plus enfiévrée. Une Jeanne d'Arc prête à mourir sur le bûcher pour bouter Mellick hors de Béthune. Alors Deruelle est contraint de ne pas trop jouer sur cette corde et privilégie une campagne de terrain, sans éclats ni passion. Consensuelle. C'est là que l'attend son rival socialiste, qui ne perd pas une occasion de le tutoyer, de lui manifester le plus grand respect, de rappeler qu'ils ont fait leurs études dans le même lycée, et de s'inquiéter, faussement compatissant, un brin condescendant, « Dis, Jean-Pierre, il faut que tu sois devant Marie-France... »

Force disciplinée

Car avec ses 110 000 habitants et ses 44 communes, cette immense circonscription même redécoupée par Charles Pasqua en 1986 est à gauche comme une évidence. Dans ce pays minier se dire de droite laisse encore un goût amer dans la bouche. Le Vert Pacheka barbu à lunettes, allure ineffable d'écolo, qui joue au Candide en politique sans que l'on sache bien où finit la naïveté et où commence le cynisme se dit « pastèque » sans complexe : vert à l'extérieur, rouge à l'intérieur.

Même Deruelle ne perd pas une occasion de rappeler qu'il est fils de mineur. Longtemps la bourgeoisie de Béthune, qui étale sa richesse d'antan dans ces maisons cossues de style flamand qui entourent le beffroi, a su gré au socialiste Mellick d'avoir contré les communistes au couteau entre les dents. Avec lui les camarades du Parti, jadis dominateurs, ont connu leur Mitterrand local : concurrencés, pillés, réduits à devenir une force d'appoint rétive mais disciplinée.

Alors, sans grand suspense, la campagne se traîne. Sans réunions publiques. Sans saveur ni odeur. Entre gens de bonne compagnie. Parfois ils s'essayent à la polémique. Mais ils s'arrêtent vite. Trop gentils. Comme s'ils avaient besoin du « diable » pour s'échauffer de nouveau, se passionner. Comme s'ils découvraient qu'on ne fait pas de bonne campagne électorale avec de bons sentiments.

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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